Yeux au ciel
Comme les petites filles qui dérobent les pots de confiture cachés au-dessus des armoires j'aime parfois à conserver un léger sentiment de culpabilité. Même s'il n'y a pas matière à, cela relève un peu le goût lorsque l'on trempe effrontément le doigt dans le pot sucré et qu'on le porte à nos lèvres les yeux innocemment levés au ciel. Il m'en pousserait des auréoles dorées pendant que de petits démons me chatouilleraient les pieds, il m'en viendrait d'autres envies de dedans les mains sans avoir l'air d'y toucher.

Alithéa qui joue à la marelle, à reculons sur le rebord de la marmite à caramel ! 

Miam !

 

Elle a plongé...

Elle a sauté. Elle a plongé dans la marmite.
A moins qu'elle n'ait trébuché, jetant la pierre entre ciel et terre, entre paradis et enfer… c'est que ce n'est pas si facile de sautiller à cloche pieds, passer au-dessus des nombres,

ne pas mordre la craie. Ou peut-être est-ce drôle de démon sucré qui lui a tiré sur la cheville ? Il faut dire qu'elle l'avait bien cherché, à balancer ainsi ses jambes dans le vide ! Assise sur le rebord d'un monde aux effluves épicées elle hésitait tout en étant tentée.
Voilà qui lui apprendra à vouloir jouer, à se donner des airs. Elle serait capable de vous dire tout le contraire, de le jurer mordicus, foin de motus et bouche décousue ! mais elle est bien contente, au fond, que le bonhomme en pain d'épices lui ait tiré sur les orteils…
Hum ! Délicieux ce caramel !

Les sucres d'orge, de pomme et de cerise ont cet avanta- ge, ou cet inconvénient, qu'on peut vite les croquer pour s'en débarrasser ou les sucer longuement pour mieux les faire durer, les laisser fondre doucement sous la langue. On

Pour mieux les faire durer...

peut même en garder un peu pour le lendemain, et le surlendemain, et les faire durer, durer, durer indéfiniment. Dans tous les cas, et c'est ce qui me plaît bien, dans la bouche, sur les lèvres et sous la langue, leur goût reste longtemps.

Comment les aimes-tu, les friandises sous leur papier doré ? les marelles enfantines, les marmites de cuivre ? La recette sera-t-elle enchanteresse dans son chaudron de sorcière ?

Dans la confiserie,

il y a un petit berlingot tout rebondi, aux formes arrondies, à moins que ce ne soit une guimauve, un réglisse, un bonbon à l'anis ?
Tout parfumé de miel, et saupoudré de sucre, quand il était en vitrine, oui, il fondait de plaisir à l'idée de faire fondre le gourmand. Timide le petit berlingot ; il rosissait presque à l'idée du passant s'arrêtant, l'admirant par delà la verrière. Il était un peu pudique mais, fausse modestie, il aimait à faire perler au soleil quelque goutte de rosée. Oh pas grand chose ! Juste histoire de briller un peu, de faire scintiller son
sucre, juste histoire qu'on ait envie de s'attarder, qu'on ait envie de lui. Les regards portés sur lui le gênaient et le troublaient tout à la fois. Il aurait presque fallu qu'on l'observe sans qu'il s'en aperçoive...
Parfois il rêvait qu'il était star, sucette ou carambar en scène sur le comptoir.
Exhiber de jolies formes toutes fraîches sorties du moule, exhaler la chaleur du four, montrer tout son nectar aux affamés du malabar. Il en frétillait de bonheur la nuit dans son bocal. Mais ça n'aurait pas été du jeu, se montrer tout nu d'un seul coup.

Non, il fallait qu'on se donne la peine, qu'on l'apprécie à sa juste valeur, tout berlingot qu'il soit ! Et puis il n'aurait jamais osé, même s'il lui arrivait d'en rêver. En fait, il aimait à rouler et s'enrouler dans le caramel, qu'on assure ses glissades au sucre glace, qu'on lui donne confiance à se laisser fourrer de praline ou d'alcools fruités. Alors, quand on lui montrait toutes ces choses, quand on savait y faire, il exhalait un à un tous ses arômes, il se laissait emporter de derrière la vitrine, sortir de son bocal, goûter voluptueusement... Oui, il aimait fondre sous la langue, crisser sous la dent, être savouré longuement. Je crois même que rien que d'y songer, lové dans son papier de soie, il vient d'en frissonner de plaisir... de désir... c'est tout dire !



Au secret de l'alcôve, dans un salon de thé, alors que je tournais, tournicotais ma cuillère dans le liquide ambré, il m'est venu, je ne sais pourquoi, un goût sucré au coin des lèvres, des envies de miel et de caramel. L'eau me venait à la bouche, irrésistiblement. Je regardais les gens passer, la vie au dehors grouiller, les clients s'attarder... il y en a même un qui s'est arrêté un instant, de l'autre côté de la vitrine. Il semblait charmant et charmé devant les mets exposés.

Puis la serveuse est arrivée avec son grand plateau doré... "Vous prendrez bien une madeleine ?" m'a t-elle lancé. Je me suis sentie gênée, troublée, toute chamboulée. Comme si elle connaissait mon secret. Le rouge m'est monté aux joues. Je n'ai su que balbutier "merci, pour moi ce sera du pain d'épice..."
Quand il est arrivé enfin, que je l'ai eu là devant moi, mon bonhomme tout plein d'épices, je l'ai d'abord admiré : son croustillant et son moelleux, son air malicieux, son sourire en sucre cristal, ses yeux de chocolat... Puis je l'ai grignoté, d'abord par les pieds, petit bout par petit bout, je m'en suis délectée. Entre deux gorgées de thé, j'ai savouré mon homme caramélisé de la tête aux pieds. Une miette m'en est restée à la commissure des lèvres... il s'en est fallut de peu que je ne me sente marquise exhibant sa mouche à la cours d'un roi Soleil ! Alors j'ai esquissé un sourire et d'un coup de langue je l'ai avalée, cette petite miette qui me chatouillait si joliment le nez...
...au secret de mon alcôve, dans un salon de thé...